Comptez-vous
Comptez vos morts
Comptez vos survivants.
Appelez la cousine, appelez les amis
Envoyez des sms
Cochez une case dans Facebook
Puis respirez un peu mieux.
Et le lendemain se souvenir de l’ami métalleux, du collègue
footeux, des copains de copains croisés lors d’une soirée qui ne jurent que par
Oberkampf. On s’était moqué, c’est trop bobo Oberkampf.
Comptez-vous, faites un deuxième tour.
Les amis des amis, ceux qu’on ne voit plus depuis des
années.
Lisez les mails des copains de l’étranger.
Répondez.
Répondez en disant que ça va
Pas
Posez-vous la question, quelle mort valait le plus pour
vous, dans votre cœur, dans les replis du lit où les bruits des sirènes de
police résonnent encore, toute la journée et toute la nuit, en vous faisant
sursauter, jusqu’à ce que vous repreniez l’habitude des bruits de la ville.
Ressortez, profitez du soleil.
Ils ne doivent pas gagner
(ils ont déjà gagné, ils ont déjà perdu, on n’y peut rien
nous autres, la prédestination pour d’autres fous de Dieu)
Mais il y a des chiens à sortir, il y a des courses à faire.
Le marathon à préparer
Le livre à écrire
Et Paris n’a pas changé.
Pas une fête, pas magnifique, pas plus de lumières qu’avant.
Ce n’est que ma ville.
Ma Ville. Ma Ville. Ma Ville. Ma Ville.
Egale à elle-même, sale et puante, et pourtant pleine de
vie, de bruits, de gens qui se prélassent au soleil, qui courent dans les
parcs, qui préparent le repas du dimanche.
Respirez un grand coup avant d’entrer au travail le lundi
Espérez que personne ne manquera à l’appel, ni les
collègues, ni les étudiants.
Ravalez vos larmes, travaillez, reprenez le cours des choses
Les copies à corriger
Les bières à boire
Les amis à soutenir
Les amis qui soutiennent
Ignorez les appels à la guerre
Ignorez les états d’urgence
Ignorez les interdictions
Ignorez la stupidité qui déboule autant qu’avant mais qui
fait encore plus mal.
Et puis à la fin pleurez, pleurez à ne plus savoir pourquoi,
pleurez par peur, par deuil, par dépit, par colère.
Relevez la tête.
Anne Redhead